Raccolta (Recueil; Collecte; Récolte)
installation de Laura De Bernardi (*1970)
Raccolta est le titre de l’installation in situ que Laura De Bernardi a conçue pour le grand salon au premier étage de la Villa Vela, un vaste espace ouvert au sud sur les collines lombardes, qui s’est transformé en univers de l’artiste de Locarno. Dans son atelier d’exposition, l’artiste nous présente ses propres formes d’expression, presque des organismes vivants, mobiles, plastiques, des structures végétales et animales à la fois. Accrochés à deux murs et au plafond, on trouve des sacs et des boyaux, des couettes et d’étranges épis semi-végétaux. Sur le troisième, on nous présente un ensemble d’éléments végétaux, des notes minuscules, des feuillets, une sorte de tapisserie éphémère.
Recueillir et recoudre, assembler à la main ce qui est séparé dans la nature, créer des formes informes, allongées, tombantes, viscérales, générées par l’union (par la couture) d’infinis (littéralement) particules presque imperceptibles. Telle est depuis des années la pratique de l’artiste, qui , à y regarder de plus près, nous apparaît impénétrable et mystérieuse, sans impliquer, à notre avis, une intention existentielle.
Récolter et assembler: un geste qui, depuis la nuit des temps, a permis à l’humanité de survivre et de se développer, et qui en suppose cependant un autre : semer, au sens propre comme au figuré. La récolte (« il raccolto » en italien, donc terme masculin) dépend de l’ensemencement; ce dernier est le résultat tangible de la cueillette (« la raccolta » en italien, donc terme féminin), de l’acte physiquement ou métaphoriquement exigeant de ramasser (dans un panier, dans un récipient…) et d’unifier (dans une pensée, dans une action). Au milieu se trouve le soin, c’est-à-dire l’attention que les mains expertes de Laura De Bernardi portent à ce que la récolte a produit.
Les graines – qu’elles soient naturelles, produites par l’homme ou mentales – c’est-à-dire les embryons à partir desquels naissent les éléments qui composent ses formes, De Bernardi les enferme dans des carnets-monde exposés sur sa table de travail personnelle : flacons, échantillons, punaises, cahiers, blocs-notes, univers sans limites de profondeur et d’indéchiffrabilité, qui nous attirent et nous inquiètent en même temps. Pourtant, l’œuvre de Laura De Bernardi ne s’inscrit pas dans le climat contemporain de l’urgence écologique. La sienne, en revanche, est une analyse lucide, quasi encyclopédique, de tout ce qui l’entoure et suscite son intérêt. La marque créative personnelle réside plutôt dans l’esthétique avec laquelle elle compose et recoud cette infinité d’éléments, transformés en organismes, d’où semblent jaillir de nouvelles formes de vie. Une attitude pleine d’espoir.
Dans le jardin du musée, De Bernardi a rassemblé des graines, des fleurs, des baies, des pousses, auxquelles elle a ajouté des cartes très fines, le tout assemblé à la main avec de la ficelle et des fils. Un autre élément est d’une importance fondamentale : le pacte de solidarité entre l’artiste et la dimension du temps, qui pour De Bernardi n’est jamais tyrannique, mais, compris comme durée, est une condition indispensable et un ami. À travers un processus artisanal minutieux et si parfait qu’il semble mécanique, l’artiste nous rappelle que le savoir-faire manuel n’a pas de limites et que, peut-être, dans l’agitation technologique de notre époque, les inquiétudes face à la suprématie absolue de la mécanisation (robotique) sont mal placées..
Le charme indéchiffrable de la « Collection » (Raccolta, en italien) exposé au Musée Vincenzo Vela nous indique la possibilité d’une autre voie.
« Qui sème récolte », dit le proverbe, et qui récolte sait qu’il a semé. Laura De Bernardi, très habile à recoudre des univers abandonnés, le sait aussi.
Gianna A. Mina
Historienne de l’art
Directrice du Musée Vincenzo Vela